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Au Tchad, une année de censure internet injustifiable

Cela fait déjà un an qu’un bon matin, les internautes tchadiens se sont rendus compte que plus aucun site internet ne passait. Certains avaient émis l’hypothèse d’un problème de réseaux, car il est banal dans cet immense pays sahélien qu’est le Tchad de voir les communications perturbées lors des tempêtes de sable. Mais hélas non. C’était la 2ème censure internet de l’année. La 1ère ayant eu lieu le 25 janvier 2018, suite à un appel à des marches et manifestations lancé par la société civile.

Ce qu’il faut savoir et retenir de cette censure internet, c’est qu’elle est la plus longue que le Tchad n’ait jamais connue. Sur les 4 censures internet ayant eu lieu au Tchad entre l’année 2016 et l’année 2018, le délai le plus long était de 235 jours. Cette fois-ci, on est à plus de 365 jours. Une censure internet ironiquement mise en route juste après la promulgation de la nouvelle constitution censée marquer l’avènement d’une 4ème république. L’avènement d’un « Tchad nouveau ».

Sourde oreille des autorités

Je ne vais pas faire ici la liste de toutes ces dénonciations, articles, interviews télé, interventions à la radio, conférences de presses de la société civile, campagnes, sit-ins et longs communiqués de toute part adressés aux autorités tchadiennes, car malgré toute la bonne volonté qu’il y avait derrière ces courageuses actions, rien ne semblait changer. Les autorités tchadiennes continuaient de faire la sourde oreille et parfois dans les sorties médiatiques de certains hauts cadres, la censure internet était même quasiment niée. Du moins jusqu’à une plainte déposée en septembre par des avocats tchadiens. La plainte a abouti à plusieurs audiences et convocations impliquant les opérateurs téléphoniques et l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes du Tchad. Même si le Président du tribunal de grande instance de N’Djamena a finalement rejeté la demande des deux avocats, cette plainte a permis de voir clair dans cette histoire. Les opérateurs téléphoniques ne peuvent rien faire.

« Toutes les fois qu’il y aura une situation impliquant la sécurité nationale… ils sont censés coopérer avec les hautes autorités et au besoin restreindre le réseau. »

De cette information, on pourrait déduire tout simplement que tout ce qui a rapport à internet au Tchad est désormais du domaine de la sécurité nationale. Car les appels à manifester, qui sont pour la plupart interdits pour cause de « troubles à l’ordre public », sont majoritairement partagés sur les réseaux sociaux. Les censurer serait donc appliquer dans une certaine mesure une prérogative comme une autre des autorités. Elles ne doivent s’expliquer ni rendre des comptes à personne. Un raisonnement très dangereux, car l’accès à internet est selon l’ONU un droit fondamental, et le restreindre c’est violer les droits de l’Homme.

Aux dernières nouvelles, la cour d’appel a confirmé le verdict du 1er procès rejetant la plainte des deux avocats, et honnêtement, même si les avocats envisagent de saisir la cour suprême, on n’espère pas grand-chose car les autorités tchadiennes ont l’air de mépriser les conséquences de cette année de censure internet.

Les graves conséquences économiques de la censure internet

En 2016, Internet Sans Frontière avait estimé le coût de la censure internet qui a eu lieu au Tchad durant 235 jours, à 18 millions d’Euros. Entre temps, NetBlocks et l’Internet Society ont lancé un outil de calcul de l’impact économique de la censure d’Internet à l’échelle mondiale. Il suffit d’aller sur la plateforme, indiquer le pays, les sites censurés et la durée.

J’ai essayé de calculer via la plateforme l’impact économique de ces 365 jours de censure internet sur l’économie tchadienne. Les chiffres sont là et donnent le tournis.

Coût des 365 jours de censure internet au Tchad.

Dans un premier temps, on pourrait douter de la véracité de ces chiffres, mais il faut préciser que selon le Rapport sur l’état du Digital de 2019, de janvier 2018 à janvier 2019, la fréquentation des réseaux sociaux au Tchad a fortement diminué : moins de 150 000 utilisateurs, soit une baisse de 54%. Même si ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, cela constitue un énorme manque à gagner pour notre économie.

Quand la censure internet aggrave la fracture numérique

L’une des conséquences les plus graves de la censure internet au Tchad, c’est qu’elle aggrave la fracture numérique en mettant à l’écart de la société numérique toutes les personnes qui n’ont plus les moyens de se connecter à internet, et renforce le postulat selon lequel :

« Au Tchad, s’intéresser et s’impliquer dans le numérique est une perte de temps et d’argent ».

Désormais, sensibiliser les jeunes tchadiens et leur parler de culture numérique deviendra plus difficile qu’il n’y parait car leurs a priori négatifs seront renforcés. Une situation incompréhensible quand on se rappelle que le président de la république a fièrement reçu en février le président du groupe Maroc Telecom qui a dit vouloir aider le Tchad à développer son secteur numérique. Le même groupe qui a finalement acheté quelques semaines après Tigo Tchad, le premier opérateur du pays. Comme quoi, dans la forme, rien ne va changer.

En attendant, que faire pour lever la censure des réseaux sociaux ?

Plusieurs initiatives louables ont été initiés pour que la censure internet soit levée au Tchad. Campagnes digitales, lettres ouvertes, communiqués, etc.

A mon humble avis, les autorités tchadiennes se comportent comme un père qui ne voudrait pas donner raison à son enfant par peur de paraître faible.

Continuer sur cette lancée et laisser pendant ce temps les uns et les autres faire des amalgames entre le combat pour la levée de la censure internet à d’autres combats politiques est une perte de temps.

Les acteurs tchadiens du numérique ont intérêt à trouver le plus vite possible un moyen pour dialoguer avec nos autorités et leur expliquer que cette censure internet n’est dans l’intérêt de personne. Sinon, j’ai peur que le Tchad devienne comme la Chine en matière de censure internet.

Annadjib.

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Auteur·e

fatakaya

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