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​Tchad : mes débuts à l'université

Décembre 2012, les étudiants de 1ère année sont enfin autorisés à commencer les cours, à la suite d’une histoire de re-correction et de 2ème tour du baccalauréat… la rentrée avait pris du retard car il était impossible de commencer les cours sans que tout les bacheliers soient fixés sur leur sort. L’université d’Abéché, située à 900 km de N’Djaména, la capitale, est célèbre. Son renom vient du fait que là bas les années élastiques sont rares, le calendrier y est respecté. Vu que j’ai beaucoup de famille à Abéché, il n’y avait pas beaucoup de suspens sur le début de mon parcours universitaire…
Alors que plusieurs de mes camarades du lycée étaient déjà sur place pour la première journée de cour, avec un cour de Droit Constitutionnel, moi j’étais encore à Ndjaména pour diverses raisons et je le harcelais par mes appels téléphoniques :

-Haggar, N’oublie pas de me garder une place !

– Haggar, est-ce que le prof a beaucoup écrit ?

– Haggar ! Vous êtes combien ? Vous êtes nombreux ?

En fait, ça ne servait à rien de déranger les gens à distance… finalement je suis arrivé à Abéché avec 3 jours de retard sur les cours.
Premier jour, premières désillusions

Université d’Abeché. Cc : Annadjib

La première fois que j’ai mis les pieds à l’université, j’étais escorté par un oncle, pour que je ne me perde pas et probablement aussi pour alimenter pour un temps la rubrique faits divers de mon nouveau quartier d’accueil…

Arrivé devant l’amphithéâtre, j’ai remarqué que le prof s’était absenté un moment, j’en ai profité pour entrer dans la  grande salle de cours, une salle pleine à rabord avec près de 300 étudiants. Quasiment toutes les places étaient occupées, j’avançais vers le fond où j’avais remarqué une table et un banc à moitié poussiéreux mais libre. Pendant mon entrée dans l’amphithéâtre, je remarquais que ça criait comme dans un stade de foot, avec des insultes : « Massas ! Massas* » et autres termes incompréhensibles pour le nouveau que j’étais .Puis le prof arriva et le calme s’installa enfin.
Pendant le cour je remarquais plusieurs choses :

  • Il fallait écrire très vite et même sauter des paragraphes entiers si on voulait rester à jour, car ici c’est pas comme le lycée où le prof répète et répète encore.
  • Quand un étudiant posait des questions, les autres criaient pour que le prof ne puisse pas répondre.
  • Concernant les filles, sortir et entrer pendant le cour est suivi de grands cris et d’insultes dignes de mâles surexcités.

Le cour se termina enfin, après sept longues heures d’écriture !

Un vieil ami du lycée  m’approcha et me révéla quelques secrets :

  1. À l’Université on a pas de place réservée et fixe. Le premier arrivé  s’asseoit où il veut.
  2. Les cris suivi de « Massas » à mon entrée s’adressaient en fait à moi.

Familiarisation avec le nouvel environnement

Il ne m’a pas fallut beaucoup de temps pour me familiariser avec l’environnement universitaire.
À force d’observations j’ai remarqué que dans l’écosystème universitaire il y avait plusieurs espèces, voici les principales  :

1- Les tomes :

Avec nous, il y avait beaucoup d’anciens, les « tomes » comme on les appelle. Plus ils redoublaient, plus les galons venaient s’ajouter à eux. Ainsi il y avait des Tome 1, des Tomes 2 et ce jusqu’aux plus redoutables, les Tome 4 et 5 . Les tomes sont respectés par leurs confrères, ce sont eux qu’on retrouve au fond des amphithéâtres à faire du bruit et à perturber les profs.

2- Les killers :

Les Killers sont des profs réputés être cruels, ils lésinent à donner des points aux étudiants, ils sont surtout connus pour la dureté de leurs épreuves et la rigueur de leurs corrections. Les 5/20 et 4/20 sont courants avec eux.

3-Les nouveaux : 

Les nouveaux sont reconnaissables à leur grand sourire, leur présence à tous les cours et surtout à leur look de lycéen : cheveux bien peignés, habits repassés. Attitude qui disparaîtra dès les résultats des premiers examens pour laisser place à des cheveux ébouriffés et à des yeux hagards.

4-Les étudiants chercheurs :

Les étudiants chercheurs sont ceux qui, comme les nouveaux, viennent tous les jours à l’université, qu’il y ait cours ou pas. Ils passent la plupart du temps à la bibliothèque à lire, relire ou photocopier des livres qu’ils ne comprennent parfois même pas.

Le temps est passé, je me suis familiarisé avec les notes catastrophiques, le rythme universitaire et je séchais même les cours.

À la fin j’ai compris que les anciens avaient raison quand ils disaient :

À l’Université c’est pas l’intelligence qui compte, mais l’endurance.

 

*Massas : signifie « sorcier » en arabe tchadien.

Billet dédié à toute la promotion de 2012 de l’Université d’Abéché.

Annadjib

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Auteur·e

fatakaya

Commentaires

Guy Muyembe
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Ah! Jolie billet! Ça le rappelle aussi mes debuts à l'Université!

Benjamin Yobouet
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Ah faire des études chez nous au pas n'est pas une mince affaire. Hommage à tous ces étudiants africains, qui malgré tout, arrivent à se démarquer. Merci pour ce témoignage :-)